L'Irlande, l'Australie, les monovilles russes et Detroit...
L'URSS était une économie capitaliste, c'est ce qu'on apprenait, la différence, et la seule, c'était qu'elle était à économie dirigée, en quoi elle succédait largement à ... une économie déjà dirigée, et qu'elle a été remplacée par... une économie dirigée...
En réalité, laissons toute idéologie de côté et étudions attentivement les donnes géopolitiques telles qu'elles sont.
Deux pays se sont bâtis sur l'esclavage, les USA et la Russie.
Ce servage, cet esclavage était la contrepartie de la donne de leur gigantisme, car tous deux souffraient des mêmes maux, la population -rare- avait tendance furieusement à déguerpir, à la moindre contrariété, ou au contraire, à la moindre rumeur que c'était mieux là-bas.
L'esclavage dans ce qui deviendra les USA sera d'ailleurs, au départ, celui des pauvres, des irlandais, des faillis, plus que celui des noirs.
La densité à l'époque coloniale de ces deux pays y est très faible, elle l'est encore aujourd'hui.
Une grande différence est quand même perceptible, les USA bénéficient du réseau hydrographique du Mississipi, et ce sont des voies navigables rapides et peu couteuses, qui relient à l'extérieur.
Pour la Russie, on
percevra sur la carte que c'est beaucoup plus compliqué, et que ses accès sur la mer ne mènent souvent nulle part et sont essentiellement des débouchés militaires.
la Russie/URSS, perdue dans son immensité, a une tendance naturelle à l'autarcie, car les transports coûtent cher, et aménent peu de marchandises, ce qui induit que ce qui est produit sur place est peu coûteux, que ce qui vient de l'extérieur est démentiellement cher.
Malthus disait que l'argent y avait peu de valeur, car objectivement, il ne servait pas à grand chose, et au début du 18° siècle, l'économie reposait sur des doses de numéraires absolument ridicules (une trentaine de millions).
Même l'armée n'échappait pas à la règle, les soldes y étaient très modestes, et les célèbres cosaques étaient rémunérés par des terres à cultiver.
On peut ajouter que le centre de gravité de l'état est TRES continental, c'est le triangle Moscou, volgograd, Tcheliabinsk/Ekaterinenbourg, encore renforcé pendant
la seconde guerre mondiale (10 millions de personnes furent transférés des territoires occupés, avec une grande partie de l'industrie, un véritable tour de force), mais si cette région bénéficie
de bons fleuves navigables, ils ne débouchent que sur rien du tout...
Pour les USA, au contraire, la période autarcique si elle est indéniable (pour les besoins de bases, les commerçants émettaient leur propre monnaie), fut plus courte.
Les voies de communications, la navigation d'abord, et le chemin de fer ensuite, reliait toujours à l'extérieur.
Comme en Russie/URSS, les gisements n'ont pas toujours le bon goût de se placer à côté de la population, il a fallu amener la population au milieu de rien du tout, dans des endroits où la densité humaine était calculé, de manière exagérée à 1 habitant au km2 (en réalité, c'était certainement moins), les usines transplantées devaient tout prendre en charge.
C'est d'ailleurs, ce qui, au moment des privatisations de 1990/2000 a fait le désespoir des possibles repreneurs occidentaux. Voulant réduire ces entreprises à leur "coeur de métier", il n'était guère possible de se passer de tout le foutra qui allait avec, des crèches, des hôpitaux, de toute l'activité de la ville, qui dépendait du combinat, et qui ne pouvait vivre sans lui. Car il est clair, que perdu au milieu de nulle part, l'économie de marché, qui repose sur les flux, ne reposerait ici sur rien du tout.
Le but de ces gigantesques ensembles, c'était de perdurer, et non la rentabilité.
Quand à la Russie/URSS en générale, c'était donc une économie minière essentiellement, reposant sur 400 monovilles, et dépendant étroitement des prix mondiaux des matières premières.
Comme il est nettement compliqué de déplacer un gisement en bord de mer, on a pu chanter, à une époque, l'économie nipponne qui dépassait celle de l'URSS.
L'une avait beaucoup de coûts induits, l'autre très peu.
La crise de Detroit est d'une autre espèce. D'abord, Detroit est très bien placé au niveau des transports, elle bénéficie d'une densité humaine, qui est honorable, même si les grandes plaines n'ont pas la densité de la Nouvelle Angleterre.
Ce qui rapproche donc la "crise des monovilles" russes et US, c'est la capacité des dirigeants à voler les bénéfices des firmes ou combinats à leur profit, et donc, d'arrêter tout investissement.
D'ailleurs, dans leur trajectoire ascendante, ces villes pionnières se ressemblent toutes, quelque soit leur régime politique, population jeune, frénésie de construction, dynamisme, et aussi bénéfice de bâtir une économie de zéro.
Au départ, tout y est neuf, et tout y est "modèle". Le problème survient quand commence le vieillissement.
Tout rapprochement qu'on peut faire avec la Chine n'est absolument pas fortuit.
Les irlandais, eux aussi désormais, déguerpissent.
Ils se précipitent les "monovilles" canadiennes et australiennes, en début de processus. Car, elles aussi, en strip-tease industriel, deviennent des économies minières, à la ressemblance indéniable avec l'URSS.
Donc, on y bâti des usines, on construit, jusqu'à ce qu'on atteigne un point d'inflexion, où les monovilles en crise seront australiennes et canadiennes.
Là aussi, l'évolution sera identique. La production cessera de progresser, les firmes seront à la merci des variations de prix internationaux, on commencera à moins investir et l'immobilier y vieillira, et rentrera en crise aussi...
Le monde est un monde fini.
Bien entendu, il y a des variantes causées par le génie national. Pour être membre du parti communiste, il fallait être recommandé, c'est à dire la plupart du temps, la recommandation, se limitant à une ligne ou deux disait "il est sobre" ou encore mieux "non buveur".
L'espérance de vie pour les hommes se limite à 59 ans en Russie encore aujourd'hui, et les dirigeants soviétiques, spécialement Staline, ne supportait pas les alcooliques. La pire insulte stalinienne était d'ailleurs "savetier".
Le père de Staline était savetier et si l'ivrognerie du russe est proverbiale, l'ivrognerie du savetier en Russie est elle même proverbiale. Le moindre
accident/incident en état d'ébriété était considéré comme du sabotage...
Bien entendu, Staline était un vilain, et le FMI, lui est gentil. Seulement, bientôt, on se demande qui paiera les impôts en Irlande si le pays continue à se vider à l'allure où il va.
Bien entendu aussi, "pour leur bien", les irlandais devront se serrer la ceinture.
Bien entendu aussi, le déclin de l'espérance de vie aux USA, c'est finalement "pour le bien des habitants".
A quoi ça sert de vivre vieux, d'abord ? On est plein de maladies, et au dessus de 40 ans, on devrait cesser de soigner pour les soins palliatifs (on est pas des bêtes, hein), genre piqûre finale de morphine, pour s'en aller tout en plaisir (quand on est bon, on ne se refait pas)...