LES "GUERRES DE RELIGION"...
En réalité, les "guerres de religion" n'ont pas existé pour leurs contemporains du XVI° siècle.
Pour eux, elles avaient le nom de "troubles", qu'un pouvoir royal trop faible, ne pouvait empêcher ou contrôler. Entre Henri II et Henri IV, un point commun, ils sont obéi au doigt et à l'oeil. Henri II n'a aucun génie, mais il est obéi. Les roi-enfants, les régences, sont ravageuses. On pardonne beaucoup à un mauvais roi, pourvu qu'il soit fort. C'est la seule qualité à l'époque. Qu'il en impose.
En réalité, comme l'a dit un lecteur, ce sont des troubles multidimensionnels.
Entrent en ligne de compte, plusieurs éléments.
- La lutte des classes dans une société bloquée. Il est clair que depuis le début du siècle, les salaires descendent à vive allure, et si le salaire féminin est fixé à moitié du salaire masculin, c'est une mesure de redressement. Il est tombé, avant cela, à rien du tout ou au 1/3. On y voit aussi la volonté de bousculer ce qui existe de protection sociale, assuré par l'église. Les fêtes des saints sont décriées (par les huguenots), mais adorées par le populaire. C'est du repos, rémunéré, pour ceux engagés, des distributions ont lieu lors de ces fêtes. La noblesse catholique, elle, pratique le ruissellement. Le noble doit dépenser.
- En outre, la montée sociale, forte sous Louis XI, s'est grippée sous les règnes suivants, avant de s'arrêter complétement. L'insécurité sociale aussi, touche les plus faibles. Un homme devient truand, les femmes prostituées. Et les morts sont quotidiens, dans une société très violente. Paris, ce sont des dizaines de morts chaque jour, une ville comme le Puy, c'est un tué par jour... Le guet bourgeois n'est pas craint, il est souvent rossé par les bandes.
Les seuls redoutés sont les quelques soldats professionnels que les villes entretiennent.
Et les nobles. Quand un des leurs a été tué, attaqué, détroussé, rossé, ils ne se posent guère de questions, ils montent à cheval avec leurs propres soldats, et tuent quelques truands, ou en cas de gros grabuge, quelques dizaines... Sans gros problèmes. Ils sont entrainés aux armes, depuis toujours, les autres sont des amateurs.
Sans toutefois bousculer ce qui ressemble à une fourmilière toujours alimentée par l'exode rural. Sans compter les bandes campagnardes, voir les villages brigands, ou les nobles dont l'activité ressemble au brigandage à s'y méprendre.
- Le caractère de vendetta est évident aussi. Les assassinats se multiplient. Celui du premier Duc de Guise, celui de Condé, entrainent des représailles. Surtout quand Coligny se félicite de l'assassinat de Guise. S'il n'apparait pas impliqué dans l'assassinat, c'est une parole imprudente. Et le Duc d'Anjou, Henri III, a une certaine tendance à pratiquer l'assassinat politique, qui créera un vendetta personnelle avec le clan Guise. On parle de clan, parce que pyramidal. En outre, on est aussi dans une "civilisation du duel". Saupoudrez le duel de religion, vous ajoutez un motif, à ce qui est un rite et une habitude.
- La Saint Barthélémy n'est pas une date, "mais une saison". Le massacre parti de Paris est suivi de massacres dans une bonne partie du reste de la France. Jean de Coras de Réalmont n'était pas à Paris.
- L'évolution politique, aussi. Coligny voulait partir en guerre contre l'Espagne, avec évidemment, l'opposition de l'Espagne, qui ne manque pas d'argent pour acheter les tueurs. Mais il y a évolution politique locale aussi : le mariage de Navarre et de Margot avait attiré une bonne partie de la noblesse de langue d'oc, et tuer Coligny, le projet du départ, et seulement lui, s'est avéré impossible. On passe à la proscription, mais les outils dont on dispose sur place, les milices, font qu'on va passer au massacre. Vont sortir prendre l'air, aussi, tous les truands, dont déborde la capitale. Pour eux, la vie vaut moins qu'un poulet.
Contrairement à ce que j'ai lu, les protestants tiennent bien le faut du pavé à Paris, au moins dans la bourgeoisie. La moitié de la bourgeoisie française et la moitié de la noblesse sont acquis à la réforme, contre seulement 10 % de l'ensemble de la population. C'est mettre une cible sur son dos. Dans le Paris de 1572, les "étoffés" sont plutôt réformés, les pauvres, catholiques. Et les pauvres sont très pauvres. Il s'agit ici d'une grande redistribution de richesse.
- Les "guerres de religion", s'étalent une très longue période -1560-1705. Et les paramètres sont différents. La guerre des camisards est une guerre de partisans, issue d'une classe populaire, les autres étaient des guerres aristocratiques. Mais cette fraction du protestantisme, en 1700 a totalement disparue : quasiment tous les réformés nobles se sont convertis. Sincèrement ou achetés. La guerre des camisards est une guerre de paysans, aussi. Les artisans sont mobiles et peuvent bouger. Pour les paysans, il est impossible de quitter leur capital foncier.
- Les interventions étrangères ne manquent pas. Espagnoles, anglaises, hollandaises, allemandes et papales. La Syrie actuelle évoque aussi un bon modèle. La guerre n'est pas que franco-française, mais largement alimentée de l'extérieur, en combattants et argent. Certains, d'ailleurs, ont dit, que financièrement, au moins au XVI° siècle, le royaume n'en a pas supporté le poids financier. Cela a été une guerre de fondrière pour l'Espagne, qui a englouti l'argent espagnol et américain.
- la guerre est un excellent moyen de régler ses problèmes : cf la libération en France. Seul manque le motif. Quand on le donne, on peut régler procès, querelles de voisinages, inimitiés, surtout dans une société agricole, où tout est occupé.
- Surpeuplement relatif au XVI° siècle. Le pays, sous François I° apparait "plein". Olivier de Serres n'a pas encore publié son "management des champs", et les nouveaux aliments ne sont pas encore arrivé d'Amérique, ou seulement sous forme d'échantillons, pas encore adoptés... L'Irlande de l'époque, sans pomme de terre, c'est 500 000 habitants (pas les 9 millions de 1847).
- Erreur manifeste de politique économique de 1560. Michel de l'Hospital privilégie la dette, et les "économies ruineuses", en congédiant les 120 000 soldats des guerres d'Italie, ou plutôt 90 % d'entre eux. Or, il ne connaissent que la guerre... Elle dure depuis 1515...
- Forte inflation depuis le début du siècle, et les formules d'indexation n'existent pas...
La crise, on le voit, est multidimensionnelle. Pour être résolue, Henri IV devra faire preuve d'autorité, n'être pas mouillé dans les vendettas, notamment l'assassinat du duc de Guise (à ce moment là, il était très occupé à prendre des villes à son cousin Henri III), réprouver les massacres, et les éviter, battre ses ennemis... On le voit, résoudre ces conflits n'a pas été simple.
Et le feu a continué à couver pendant deux règnes encore, avec la crainte principale de la guerre civile et de l'intervention étrangère (qui ne manqueront guère), pas par souci religieux, mais par but d'affaiblissement. Sous Louis XIII, l'Espagne soutient en sous main le parti protestant, avec la Grande Bretagne...
Je rajouterais aussi un élément. L'élément énergétique. Le XVI° siècle est aussi un siècle d'épuisement énergétique. Pour Sully, la carence de bois est fondamentale dans l'inflation qui ronge le royaume de cette époque, plus que l'argent américain. C'est un cliquet qui empêche les prix de retomber.