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COURRIER D'ALEXANDRE

13 Septembre 2024 , Rédigé par Patrick REYMOND

Dans le livre que Patrick et moi nous avions écrit avec Nicolas Bonnal, il y avait un article de Juillet 2021
intitulé « Exploration de la guerre post-fossile », que l'on peut trouver ici par ailleurs :
https://lesakerfrancophone.fr/exploration-de-la-guerre-post-fossile
1. L'aube des voiliers robotisés
Parmi tant d'autres choses qui anticipaient le conflit en Ukraine qui se déclencherait huit mois plus tard
(qu'est-ce j'étais doué !), il y ce court passage :
le transport maritime (schooner à voile automatisé ?) réduit à des biens à haute densité de valeur ajoutée
(comme les épices au Moyen-Âge) et non-périssables (fini les cargos de bananes vendues à 1€ le kilo).
Or voici que c'est chose faite, un prototype, ou démonstrateur de concept, de cargo à voile français
(cocorico, en France on n'a pas de pétrole mais on a des voiliers) nommé Anémos vient de finir sa

première croisière transatlantique : https://www.meretmarine.com/fr/marine-marchande/towt-le-voilier-
cargo-anemos-a-realise-sa-premiere-traversee-de-l-atlantique

Il y a eu des voiliers-cargos à grande capacité dans le passé, par exemple le Thomas W. Lawson (
https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_W._Lawson_(voilier) ) qui pouvait transporter 7400 tonnes (1100
tonnes pour l'Anémos).
Cette redécouverte de la marine à voile n'est pas un simple retour au XVIIIème siècle tel que certains
l'envisagent sur le sujet du pic des ressources et du monde post-fossile. Ce navire est équipé des
technologies les plus actuelles, ce qui permet déjà d'utiliser nettement moins de personnel qu'il y a deux
siècles. Il utilise par exemple ses hélices pour convertir une partie de l'énergie captée par les voiles en
courant éléctrique.
On voit donc que l'on investit toujours dans un avenir évalué sobrement, dans la perspective de la fin des
ressources fossiles. C'est réellement rassurant de savoir qu'il y aura toujours un moyen d'exporter notre
cognac vers la Nouvelle-Angleterre. Si l'on s'intéresse à l'histoire vraie derrière le film « Whisky à gogo »
( https://fr.wikipedia.org/wiki/Whisky_%C3%A0_gogo_! ) les spiritueux sont une source importante de
devises, surtout en temps de guerre).
Dans d'autres chantiers navals on travaille sur la robotisation intégrale des navires, car exemple dans cet
article de mars dernier :
Robot ships: Huge remote controlled vessels are setting sail
https://www.bbc.com/news/science-environment-68486462 )
où l'on voit des navires à moteur thermiques, dont l'époque est en train de finir.
Nous devons donc considérer que ces deux évolutions parallèles vont converger, et que la prochaine
génération des cargos Anémos sera une plateforme de recherche sur la robotisation de la marine à voile. Si
ça se trouve c'est déjà le cas avec celui-ci, en moins en partie.
Par exemple le choix de palettiser la cargaison sur l'Anémos est intéressant, je ne m'y connais pas mais il
se pourrait bien que l'usage du conteneur devienne moins intéressant avaec la baisse des volumes, et de
l'autre côté on peut s'imaginer qu'une « IA-Tétris » répartisse parfaitement dans la cale diverses caisses,
boîtes et tonneaux selon leur densité, leur fragilité et toutes sortes d'autres critères.

2. Le monde post-fossile en phase de test en Ukraine
Tout cela illustre une idée qui apparaît en filigrane dans mon article de 2021, à savoir qu'une guerre ce
n'est pas seulement un monde en soi, c'est un monde entre deux autres, comme parle souvent de l'avant-

guerre, de l'entre-deux-guerres ou de l'après-guerre quand il s'agit du XXème siècle.
C'est pourquoi je voudrais relier l'Anémos à cette guerre en Ukraine qui n'en finit pas de ne pas finir. Je
cite un extrait du site de Bruno Bertez (que je lis tout les jours comme celui de Patrick Reymond)
https://brunobertez.com/2024/08/13/medvedev-sur-les-evenements-dans-la-region-de-koursk/
La stratégie et les tactiques dont fait preuve l’Ukraine au cours de son incursion transfrontalière dans la
région russe de Koursk ont été élaborées avec l’OTAN, a spéculé l’ancien sous-secrétaire adjoint
américain à la Défense Stephen Bryen.
Le pari du régime de Kiev est « un cas test pour la défense de l’Europe en cas d’attaque russe », affirme
l’expert en stratégie et technologie de sécurité dans son ouvrage Weapons and Strategy Substack.
Tout dans ce conflit ukrainien pue le laboratoire à ciel ouvert, comme la Guerre d'Espagne l'a été en son
temps. On dirait que ce conflit est fait sur mesure pour durer aussi longtemps que possible. Normalement,
avec les Russes présents dans la banlieue de Kiev, il aurait dû se finir il y a deux ans déjà.
Or nous voyons depuis deux ans de folles avancées dans l'usage des drones, qui par exemple utilisent une
IA embarquée pour se verrouiller sur les cibles et faire fi du guidage par l'opérateur si les communications
devaient être brouillées.
C'est aussi une guerre où les matériels anciens ne servent plus à rien, d'ailleurs on fait la fine bouche, on
minaude en Occident pour ne pas avoir à avouer qu'on veut se débrasser urgemment de tous nos chars et
autres véhicules blindés qui ne déjà plus que de grosses (et gourmandes) cibles inutiles. Il y avait déjà une
assymétrie flagrante entre le Panzerfaust et le char, désormais « l'anti » est souverain
Notre conception de la guerre est en train d'être redéfinie intégralement, peut-être bien parce qu'il risque
de ne plus il y avoir de guerres entre Etats-Nations au sens où nous avions coutume de la penser (les
guerres de décolonisation étaient en partie des guerres de proxy avec des Etats-Nations puissants derrière).
Dans un monde sevré de carburant, il va être difficile de bouger et de nourrir des centaines de milliers de
combattants dans de folles conquêtes, où certains multiplicateurs technologiques continueraient à exister
(« Attila avec des drones »).
3. Le futur de la guerre est local
On note fréquemment à propos du conflit en Ukraine, qu'il s'agit de plus en plus d'agissement de petites
unités (compagnie voire section), les Russes nous disent que l'invasion à Koursk sont le fait d'équipes peu
mobiles de saboteurs niveau « Stay-Behind », dont une grande partie sont d'ailleurs des spécialistes
étrangers, vu que le papy kidnappé dans la rue n'est sans doute pas un super bétatesteur pour ce genre
d'opérations.
Par contre hélas il l'est pour d'autres choses, car en Ukraine on teste aussi le Cyber-Volkssturm. Quitte à
avoir un environnement de test, on teste tout, et donc, que teste-t-on ?
Mon intuition (ça veut tout dire : je ne peux rien prouver) est que l'on teste le combat techno-féodal.
Une chose dont on parle très peu est l'impact de ce que l'on nomme « IA » sur la prise de décision, tant au
point de vue managérial que du point de vue militaire.
Le monde post-fossile est un monde féodal parce que l'on doit se tourner (se recroqueviller) sur le local.
Or, au niveau local, les preneurs de décision sont les notables du coin, y trouver un Rommel ou un
Zhukov n'est pas impossible mais vraiment peu probable.
On peut imaginer que les organisations militaires locales soient élaborées selon le catalogue de la
franchise d'un « Milirotary Club », qui peut fournir en sus des différents matériels des « suites d'IA » pour

accompagner le processus décisionnel.
Si l'on regarde la Guerre d'Espagne, elle n'a pas tant servi à déterminer ce qui est utile que ce qui ne l'était
pas (j'en dirais autant à propos de la Guerre du Chaco qui à mon sens a elle aussi été un laboratoire à ciel
ouvert). Après la Guerre d'Espagne, les Allemands et les Soviétiques savaient ce qu'il fallait développer en
termes de blindés par exemple, et donc ont abandonné les chars multi-tourelles (que les Britanniques
construisaient encore jusqu'en 1941 avec les premiers Crusader).
Par analogie, on peut donc imaginer que la guerre en Ukraine vise à examiner les différentes « suites
d'IA » et autres automatisations, que l'on raffinera soit lors d'une extension future du conflit (la Guerre
d'Espagne se termine quelque mois avant la Seconde Guerre Mondiale) soit lors d'opérations sur mesure,
par exemple pourquoi pas au Niger ou au Mali, c'est à la mode en ce moment et c'est dans un
environnement assez « post-fossile ».
Et le lien avec un « Anemos » robotisé est là. Il faut s'imaginer un navire à voiles robotisé chargé de
richesses passant devant des populations appauvries voire affamées, et que l'on ose pas aborder en raison
des robots de combats qui se trouvent à bord.
Tout cela est déjà possible aujourd'hui, en l'état actuel de la technologie, mais à l'état de prototype.
Le monde post-fossile se construit chaque jour.
Si vous aimez mon article laissez un pouce bleu ;) et sinon vous pouvez aller voir mon projet actuel sur
www.toothpick-miniatures.com, qui lui aussi est assez post-fossile, mais pour la bonne cause puisqu'on
peut y construire des maquettes assez précises sans avoir besoin de dépenser quoi que ce soit.

Alexandre KARADIMAS

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A
La France est nombriliste, l'Anemos n'est pas le premier voilier cargo, la compagnie TOWT en exploite depuis 10 ans.<br /> <br /> Et en terme de commerce mondialisé, la covid a été un premier avertissement avec l'interruption d'une grande partie du trafic
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T
Texte très intéressant, ainsi que celui du même auteur "exploration-de-la-guerre-post-fossile". Cependant l'automatisation et la surveillance numérique généralisée suppose une grosse dépense d'énergie. On en arrive donc à une aporie où dans le but de gérer le manque de ressources énergétiques et minières on consomme encore plus des dites ressources pour la surveillance électronique du rationnement.
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M
Oui d'un certain point de vue c'est paradoxal, surtout si l'on considère que l'économie est gérée à court terme, quasiment d'un trimestre à l'autre dans le monde des sociétés anonymes et de leurs objectifs trimestriels.<br /> <br /> Mais nous en sommes arrivés à un stade où la valorisation des entreprises cotées en Bourse échappe à toute règle financière saine, il ne s'agit que d'une vaste religion d’État, et là les dimensions temporelles sont différentes. Le rationnement de la Seconde Guerre Mondiale était subordonné aux considérations militaires et il s'est achevé après la fin du conflit (en 1948 en France).<br /> <br /> En ce qui nous concerne, c'est la seule fois dans l'histoire de l'humanité où il aura huit milliards d'humains sur Terre, il y aura forcément une réduction drastique de ce nombre. Le contrôle, la surveillance et aussi les ressources d'IA qui y sont allouées visent à contrôler cette masse (et sans doute, sans aucun doute même, sa "réduction").<br /> <br /> Ensuite il y aura moins de cerveaux mais la plupart des solutions techniques "optimales" auront été définies auparavant (y compris par le concours des IA justement), donc à l'instar de la loi romaine qui continue à s'appliquer tout le long du Moyen-Âge, on peut s'imaginer qu'un langage de programmation informatique optimal (ou bien les normes actuelles comme le TCP/IP d'Internet) continue à être utilisé comme norme mondiale sur plusieurs siècles (la "lingua franca", le latin, est un autre exemple).<br /> <br /> Ceci résout donc le paradoxe, il s'agit de consacrer des ressources finies pour gérer la manière dont elles sont finies afin de permettre des formes d'organisations plus pérennes/"durables" de se mettre en place.
T
C'est amusant cette vision « steampunk » inversée. Il faut en parler à Luc Besson, ça lui donnera des idées pour un prochain film.<br /> <br /> Cependant, en ce qui concerne la voile marchande, Alexandre se fait quelques idées fausses sur le passé, et probablement sur l'avenir aussi. La marine à voile fut rentable et efficace longtemps après l'invention du bateau à vapeur (et même elle fut indispensable pour transporter le charbon nécessaire aux steamers).<br /> <br /> Les grands voiliers cargos de la fin XIXe, début XXe ne nécessitaient pas un très grand équipage entre autres raisons parce qu'on savait déjà faire d'excellents palans/cabestans modernes. Les gens confondent avec la marine militaire du XVIIe et XVIIIe siècle, qui embarquait énormément de marins et de chair à canon et les traitait comme des consommables (l'un des facteurs de la puissance anglaise sur les mers fut que leurs marins étaient nourris un peu moins chichement que les nôtres, c'est pas con sur un engin manœuvré entièrement au muscle).<br /> <br /> Dans l'immédiat, l'automatisation permet sans doute de rassurer les investisseurs en minimisant la masse salariale à bord. Mais ce genre d'obsession perdra de son sens dans un monde plus pauvre. Il y aura moins d'ingénieurs, moins d'informaticiens, moins de ressources pour fabriquer ce qu'on veut, et peut-être bien moins de microprocesseurs disponibles (on ira peut-être déterrer des téléphones portables dans les décharges). Par contre, il y aura bien plus de main d'œuvre pas chère. L'arbitrage ne sera pas difficile à faire : ce qui est simple et qui marche vaut mieux que ce qui est compliqué et cher (surtout en mer).
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