Russie et URSS : plus une continuité qu'une rupture.
En réalité, quand on regarde sur la première partie du XX° siècle, les traits de ressemblances entre la Russie Tsariste et l'URSS l'emportent, plus qu'il n'y a une véritable discorde.
Tout d'abord l'agriculture. L'agriculture Russe a des traits uniques en Europe. De 1864, à 1914, la population rurale s'accroît de 30 millions et la soupape de sécurité sibérienne si elle fonctionne à plein, est aussi pleinement insuffisante : elle n'accueillera que 3 1/2 millions de personnes.
Jusqu'en 1906, la structure est celle du mir. Celle-ci est responsable du paiement de l'impôt pour la totalité de ses membres, et de la répartition de la terre.
Celle-ci a été vendue fort chère (3 fois le prix) par la couronne (lors de l'abolition du servage) aux paysans dont les ancêtres en avaient été dépossédés au XVII° siècle, lors de la poussée du servage.
La propriété privée n'existe qu'à partir de 1908-1909, date à partir de laquelle les paysans peuvent demander à se retirer du mir.
A cette occasion, les troubles seront nombreux, l'amélioration inexistante. Les paysans n'ont aucun moyen d'investir, et la noblesse de 1864 n'a pas investi un sou des sommes reçues suite à l'abolition du servage. En effet, fort endettée, menant grand train, elle a déjà inventé le "bling-bling".
Blattes et punaises dans une maison sont signes extérieurs de richesses.
La révolution, en milieu rural, a été celle du mir. Les soviets ruraux y trouvent naturellement leur dimension, et la propriété privée cesse quasiment d'exister AVANT la prise de pouvoir des bolcheviks.
Ceux-ci se contentent de légaliser le nouveau partage des terres et la renaissance du mir.
Seule la Sibérie échappe au mouvement.
Comme la production industrielle s'est effondrée, l'argent ne vaut plus rien, il n'y a plus que réquisitions, suivie d'une chute des surfaces cultivées.
La NEP impose un impôt en nature de 10 %, le reste étant commercialisable librement. Mais là aussi, on retombe sur le problème de l'absence de produits de consommation.
En 1914, on mobilise énormément d'hommes, 15 millions peut être, mais on ne peut en équiper que 8, un seul peut être amené au front, le reste est à l'arrière, ou pire, fermente dans les casernes.
Le résultat fut une désorganisation profonde de l'économie, non pas tant par manque de main d'oeuvre (le chômage larvé est important), mais par l'augmentation des besoins, et la dislocation d'un système de transport, certes déjà important, mais ridicule à l'échelle du pays.
"L'effort héroïque entrepris pour tenir tête aux armées modernes de l'Allemagne avait profondément retenti sur l'industrie et l'agriculture, mais encore plus désorganisé un réseau de transport très insuffisant amenant dans l'hiver 1916-1917, un véritable état de pénurie dans les grandes villes et les centres vitaux du pays" (Précis d'histoire contemporaine Jacques Néré), qui culmine en février 1917, avec l'annonce de la fermeture des usines Putilov.
Les emprunts sont répudiés, mais les occidentaux repousseront les ouvertures des soviets sur ce sujet. En effet ceux-ci ne sont pas idiots, ils savent que, dans les faits, les occidentaux répudient eux-mêmes leurs créances : la baisse du franc, notamment, aurait amputé 80 % du nominal (de nombreux emprunts russes sont libellés en francs), et beaucoup d'entreprises privées russes émettrices d'emprunts, ont fait faillite.
Finalement, sans faillite russe, les occidentaux eux-mêmes s'étaient chargés du travail...
Par contre, Lénine demandera des crédits supplémentaires, que notamment en France, on est incapables de fournir.
Par contre, la leçon de la grande guerre sera éclatante pour les bolcheviks : coupée du monde, la Russie a du se débrouiller seule, et sa faiblesse industrielle sera démontrée, la valeur de sa production est :
- 2 1/2 inférieure à celle de la France (pourtant guère un géant industriel en 1914),
- 6 fois moins que l'Allemagne,
- 14 fois moins que les USA.
La suite est logique : ils en tireront la conclusion que l'URSS ne peut compter que sur ses propres forces, l'aide de ses alliés ayant été inexistante de 1914 à 1917, et qu'elle a besoin de s'industrialiser à marches forcées.
La guerre suivante prouvera aussi que l'aide par convois britanniques, plus symbolique que réelle, ne pouvait être importante.
L'industrialisation se fera donc sans capitaux étrangers, les britanniques et les français sont raides, les américains s'occupent de LEUR industrie et n'ont pas encore découverts les joies des délocalisations, et donc en conséquences, les payeurs seront :
- les paysans,
- les consommateurs. En quoi, le régime soviétique ne différe guère des autres industrialisations du continent européen. Dans la période 1924-1928, l'autofinancement des investissements du secteur industriel (nationalisé) ne dépasse jamais 30 %.
C'est donc, dans un contexte terrible de pénurie, d'absences d'aides extérieures (Marshall n'est pas encore passé par là), que la politique d'industrialisation est lancée.
Peut être aurons nous le goût des "contraintes extérieures" réelles, avec le Peak oil. Le Rouble, déjà réduit à l'état de vestige (il faut 103 roubles papier pour faire un rouble or, en janvier 1919), finit de dégringoler.
Le pouvoir soviétique va devoir affronter un autre ennemi, autrement coriace : le mir. En effet, le gros de la population, resté ou redevenu rural, vit sans grandes aspirations, entre son clocher et son alambic (qui détruit les récoltes).
Le paysan n'a pas les moyens d'investir, et d'ailleurs s'en garde bien. Le mir redistribue les terres toutes les années, alors, pourquoi se fatiguer à vouloir augmenter les rendements. Seul le négociant Nepman tire son épingle du jeu.
Bien sûr les pertes humaines causées par les phases d'exodes ruraux en occident seront bien cachées au fil des décennies. Les gens partent, et la famille reçoit un avis de décès quelques mois plus tard. Mais comme ce sont des événements disjoints, on évite d'en faire reposer la responsabilité sur le régime économique...
Il n'y a donc, finalement, pas de réelles différences entre Russie et URSS, seules les circonstances l'étaient.
Il n'y a pas, non plus, de réelles différences entre évolutions occidentales et russes. Les russes seront plus brutaux et expéditifs, accomplissant alphabétisation et industrialisation en une seule génération.
Le reste, c'est du bla-bla et de la propagande. La version officielle de l'histoire est celle des vainqueurs.
Tous les régimes économiques sont énormément meurtiers. Mais on regarde la paille dans l'oeil du voisin, pour ne pas voir la poutre dans le sien.
" Le carton final du film dit que pendant que Bouvier assassinait 12 bergers, 2500 enfants mourraient dans les mines et les filatures. Bouvier a été condamné à mort, mais les assassins des 2500 enfants morts au travail sont resté impunis."
En France aussi, le régime économique a tué énormément. Ne parlons pas de l'Angleterre, bourreau de l'Irlande et de ses mineurs. Ne parlons même pas des USA.